Création littéraire- Une nouvelle
Monsieur de Beauvanet avait toujours habité dans le même quartier, avait toujours fréquenté les mêmes magasins et « avait toujours affirmé avec la plus grande fierté qu’il était parfaitement normal, merci bonsoir. » En ce mardi matin d’octobre, il souhaita une bonne journée à sa femme et embrassa son petit bébé sur la joue, comme à son habitude. Ensuite, il prit son manteau gris, celui qu’il portait toujours à ce moment de l’année, et sortit de la maison. La seule différence dans sa routine matinale était qu’il devait se rendre à un rendez-vous chez le médecin avant d’aller travailler. Cela l’indisposait beaucoup, puisqu’il devrait faire un détour en voiture et passer dans un quartier qu’il n’aimait pas. Malheureusement, après toutes les migraines qu’il avait endurées au cours des dernières semaines, il s’était retrouvé dans l’obligation d’aller consulter un professionnel pour régler le problème.
En arrivant à la clinique, Monsieur de Beauvanet sortit de sa voiture et monta les escaliers. Il se souvenait d’être venu ici lorsqu’il était enfant et que cet endroit n’échouait jamais à le terrifier à chaque fois qu’il y mettait les pieds. Heureusement, celui-ci était un homme maintenant ; il ne se laisserait pas déconcentrer par des futilités et des peurs de petit garçon. Prenant une grande inspiration, il poussa la porte du bureau et une gentille dame lui désigna la salle d’attente dans laquelle il devrait patienter. L’homme au manteau gris décida donc de s’asseoir à la même place que lorsqu’il était venu la dernière fois et se plongea dans la lecture du journal matinal.
Les minutes passèrent longuement et le gentil monsieur commença à se demander si son rendez-vous n’avait pas été annulé sans qu’il n’ait été prévenu. Cela aurait été le comble de l’irrespect! Il se détacha donc de sa lecture et scruta attentivement la clinique. Soudainement, la porte s’ouvrit et un petit chien entra. La dame de la réception n’en fit aucun cas et lui dit d’aller s’asseoir dans la salle d’attente. Le chien, comme s’il avait compris, se dirigea vers le siège à la droite de Monsieur de Beauvanet et y monta, s’asseyant sur les fesses comme un vrai humain! Le gentilhomme n’en crut pas ses yeux et essaya de communiquer avec la secrétaire afin qu’elle se rende compte que quelque chose n’était pas normal. Malheureusement, il ne réussit pas à attraper son regard.
Une cloche retentit de nouveau dans le bureau, annonçant un nouveau visiteur. Hector de Beauvanet fut soulagé ; quelqu’un pourrait enfin témoigner de l’étrangeté du phénomène! Cependant, à sa plus grande horreur, ce fut un énorme flamand rose qui pénétra dans la salle d’attente. La secrétaire, n’ayant toujours aucune réaction, lui indiqua d’aller prendre place en souriant. Hector, pris d’une horreur sans nom, se recula sur sa chaise, incapable de parler tellement il avait peur. Le flamant rose prit place en face de l’homme et sortit, lui aussi, un journal de ses plumes! La respiration de Monsieur de Beauvanet s’accéléra au fur et à mesure que les secondes passaient. Pourquoi des animaux entraient-ils comme bon leur semble dans sa clinique ?! À peine quelques instants plus tard, la sonnette retentit encore et l’homme sauta sur sa chaise. Quel animal allait encore entrer dans cette pièce maudite ?! Effaré, il suivit des yeux l’immense ours qui, lui aussi, se fit demander d’aller attendre à côté d’Hector. En l’observant passer, il remarqua avec indignation et épouvante que l’animal portait des lunettes et une cravate. C’en était trop pour Monsieur de Beauvanet. Il tenta de se lever pour s’enfuir à toutes jambes, mais fut incapable de bouger ne serait-ce qu’un muscle, paralysé par la peur. La seule solution qu’il trouva fut de fermer les yeux. Ce qu’il ne voyait pas n’existait pas! Cela avait toujours été sa devise. Il se colla donc le plus loin possible sur sa chaise et plaça ses mains sur son visage pour couvrir sa vision. Il attendit ainsi quelques instants jusqu’à ce que quelqu’un lui touche gentiment l’épaule en annonçant son nom.
« Pour Monsieur de Beauvanet? Est-ce que c’est vous? »
Cette voix était humaine, quel soulagement. Hector n’ouvrit qu’un œil et manqua de se mettre à pleurer de joie lorsqu’il réalisa que toute cette fantaisie et les épreuves terrifiantes qu’il venait de vivre n’étaient que le fruit d’un simple rêve ; il s’était endormi sur sa chaise! Le gentilhomme s’esclaffa de rire sous les regards confus des autres patients de la clinique qui étaient humains, bien entendu. Le brave homme se leva et suivit son médecin dans son bureau, recevant la consultation tant attendue, comme prévu. Il sortit ensuite de la clinique et se rendit à son lieu de travail, comme à son habitude. Il n’y avait absolument aucun signe d’ours à cravate ou de flamants roses qui lisent le journal. Son imagination était si loufoque!
De bien meilleure humeur que ce matin, Monsieur de Beauvanet retourna chez lui en voiture. Il souhaiterait le bonsoir à sa femme, embrasserait le front de son bébé et tout redeviendrait normal, merci beaucoup. En entrant dans la maison, il appela son épouse, mais elle ne répondit pas. Peut-être était-elle en train de prendre soin de sa fille dans la chambre? Il s’avança dans le couloir d’un pas confiant et pénétra dans la pièce. Cependant, à sa plus grande horreur, la première chose sur laquelle son regard se posa fut son petit bébé qui était tenu dans les bras d’une… autruche.
Dans la rue très ordinaire où se trouvait la maison habituellement calme de Monsieur et Madame Beauvanet, la dernière chose que l’on entendit fut un cri bref et strident puis, plus rien.
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